Hier soir, après sept années durant lesquelles c'était sans aucun appui de la municipalité que des militants et des humanistes colombiens marquaient l'événement, nous avons commémoré à nouveau de façon solennelle le Cessez le Feu en Algérie. C'était une cérémonie très émouvante. Si elle a rassemblé peu d'anciens combattants (4 porte drapeaux, 2 organisations, une quarantaine de membres, anciens appelés en Algérie), la population s'est jointe, nombreuse à cette manifestation, et bien sûr presque toute la majorité municipale. Etaient absentes la majorité des associations d'Anciens combattants, favorable à la commémoration le 5 décembre voir l'article précédent sur mon blog. Manquait aussi la totalité de l'opposition- ce qui était attendu pour l'UMP Nouveau centre, groupe à l'origine de la décision en 2001 de débaptiser la rue du 19 mars 1962-mais beaucoup moins du MoDem qui nous avait, lors de la délibération passée pour créer une place du 19 mars 1962 en centre ville, reproché de n'avoir donné "qu'une petite place" comme lieu de mémoire aux victimes de la guerre d'Algérie et des combats au Maroc et en Tunisie. Peut-être étaient-ils tout simplement tous indisponibles ...
Voici le texte du discours que j'ai prononcé à cette occasion (lisez le jusqu'au bout, vous découvrirez le très beau poème de Jean Sénac, poète franco-algérien, avec lequel j'ai terminé mon intervention.
Monsieur le Conseiller Régional, Madame la Conseillère générale, Monsieur le Maire,Mesdames et Messieurs les élus, Messieurs les représentants
d’associations d’anciens combattants et de mémoire, Mesdames et Messieurs les
représentants du monde associatif, syndical, cultuel et politique, Chers amis,
C’est pour moi un honneur tout particulier de pouvoir
aujourd’hui m’exprimer devant vous au nom de notre équipe municipale. Depuis
2001, nombre d’anciens combattants, de militants, de démocrates, d’habitants
ont tenu à se retrouver chaque année ici même pour commémorer le 19 mars 1962.
Mais, pour la première fois depuis 7 ans, cette cérémonie du souvenir a pu
reprendre le caractère solennel qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Et nous avons pu passer il y a quelques
minutes devant notre nouvelle place du 19 mars 1962.
Je rappelerai rapidement, pour
ceux d’entre vous qui n’ont pas suivi de près l’enchaînement des évènements,
pourquoi cette place et son emplacement symbolique.
Durant
la mandature précédente, la rue du 19 mars 1962 avait été débaptisée, ce
qui a provoqué l’incompréhension et la colère de nombreux colombiens. Avant
même notre élection à la mairie, nous avions été approchés par deux
associations dont nous devons
saluer les efforts pour faire mieux connaître cette période de notre
histoire et inviter au dialogue. La FNACA, association spécifique de tous ceux
qui ont participé entre 1952 et 1962 à la guerre d'Algérie ou aux combats du
Maroc ou de la Tunisie (370.000 adhérents). et l'ARAC, l'Association
républicaine des Anciens combattants et victimes de guerre (100.000 adhérents),
nous ont fait part de leur souhait que l'injustice soit réparée, ce qui nous
paraissait une demande légitime.
Aussi
avons-nous proposé au Conseil municipal, qui l'a accepté, de dénommer une place
colombienne, qui ne portait pas de nom jusqu'ici, "place du 19 mars
1962".
En accord avec les
associations, nous avons donc retenu un lieu situé en plein centre ville.
Cette place est petite certes mais sa situation sur les trajets habituels que
nous faisons lors des commémorations d'anciens combattants en a fait le
meilleur emplacement possible, parmi les divers lieux que nous avions repérés.
Le 7 mars, nous avons inauguré
cette place, rejoignant ainsi les près de 6000 villes françaises, de gauche, mais aussi de
droite qui ont dénommé des rues ou des places du 19 mars 1962 ; le 7 mars
nous avons aussi dévoilé une plaque mémorielle. Aujourd’hui, nous commémorons
le Cessez le feu en Algérie.
Mesdames, Messieurs,Rappelons pourquoi il faut marquer
un moment de mémoire le 19 mars.
La date de commémoration de
la fin de la guerre d’Algérie fait l’objet depuis de nombreuses années d’un
avis différent entre les associations d'anciens combattants et
entre les politiques de gauche et de droite. Les uns en tiennent pour le
19 mars 1962, date du cessez-le-feu qui mit fin officiellement aux huit années
de guerre d'Algérie ; les autres estiment que la date du cessez le feu n'a pas
de signification car des massacres ont duré jusqu'au 3 juillet suivant, date à
laquelle fut proclamée l'indépendance de l'Algérie. Il y a effectivement,
malheureusement pour les victimes, généralement une différence entre la date de
proclamation d’un cessez le feu et la fin réelle de la Guerre. Le savent bien
ceux qui sont aujourd’hui à Gaza, en Afrique Australe, dans le conflit géorgien
ou dans bien d’autres endroits en guerre dans le monde. Dans l’histoire, les
cessez le feu n’ont pas été la paix, mais seulement le premier pas vers la
paix, permettant la reprise de la parole et des échanges entre les
belligérants.
La date du 19 Mars 1962, est donc
bien sûr importante pour nos anciens combattants, mais elle revêt aussi une
particulière force pour tous ceux
Algériens ou Français qui
ont souffert directement du conflit, et au delà, pour tous les humanistes,
toutes les femmes et hommes de conviction qui ont su dépasser les considérations nationales, ont refusé d’élever des
murs entre les cultures et se battent pour que le vivre bien ensemble soit la
règle dans nos cités.
Chers amis,
Si vous me le permettez, je vais,
contrairement à mon habitude, faire une très brève allusion à la sphère privée
de mon existence. En effet, cette cérémonie est particulièrement émouvante pour
moi en raison de mon histoire personnelle. Ayant un arrière grand père maternel
originaire de l’Est de la France et un arrière grand père paternel berbère,
j’ai vécu, petite fille, en Algérie, dans une famille qui était de ce fait
particulièrement déchirée par cette guerre qui ne disait pas son nom. A cette
époque, sur place, nous étions nombreux, tant Français qu’ Algériens à ne pas saisir le sens
de ce conflit fratricide. Nous
voulions plaider pour une politique qui permettrait aux deux
peuples constitutifs de l'Algérie de vivre en bonne entente, sans se
transformer mutuellement, comme le disait Albert Camus "en victimes ou
en bourreaux".
« J’ai rêvé d’un monde de
soleil dans la fraternité de mes frères aux yeux bleus » écrivait Léopold
Sedar Senghor. Aujourd’hui peut
revenir pleinement le temps de la fraternité entre tous ceux qui étaient en
Algérie à cette époque, les uns, métropolitains, appelés sous les drapeaux pour
combattre, les autres désireux de vivre dans l’indépendance sur leur terre
natale et surtout, la grande majorité, ceux qui voulaient tout simplement vivre
en bonne intelligence dans un pays qui était le leur.
Tout à l’heure, au cimetière, nous avons évoqué les 33
colombiens, qui firent partie des 30.000 appelés tués durant la guerre
d’Algérie et les combats de la Tunisie et du Maroc. N’oublions pas non plus les
disparus et les victimes civiles.
Il reste
encore beaucoup à faire pour qu’une saine révélation de la vérité finisse
d’apaiser les tensions. Du haut de sa Déclaration des droits de l'homme, la
France a souvent préféré détourner les yeux . il s'agit pour nous tous
d'accepter enfin notre histoire dans toutes ses dimensions.
Aujourd’hui, le fanatisme,
l’idéologie, le dogmatisme, la mauvaise foi doivent céder définitivement la
place à la fraternité, à la prise en main collective de notre devenir commun.
Mesdames, messieurs,
Pour terminer cette allocution,
j’aimerais vous donner lecture d’un poème, parce que cette forme de
communication constitue souvent le plus court chemin du cœur d’un homme à un
autre. C’est ce qu’exprime de façon plus élégante que moi le poète Algérien
Mahieddine Nabet « La poésie est simple parole d’Homme/ qui ne craint
pas de reprendre/ avec talent telle parole d’un autre Homme qui s’appuie sur un
autre Homme/ qu’elle fait complice/ chemin faisant/ …»
Pour mêler culture algérienne et
culture française, j’ai choisi un texte de Jean Sénac, de son vrai nom Yahia El-Ouahrani (Jean
l’Oranais). Il était Algérien à 100 %, d’origine européenne, parlant français,
un peu l’arabe, et un catholique qui avait demandé à être enterré dans un cimetière musulman.
De ce poète, ami d’Albert Camus, d’Emmanuel Roblès et de René Char , on
disait qu’il « signait d'un soleil".
Ce poème, intitulé LES PAROLES DE LA ROSE est une conversation entre
Monsieur Jean (Jean Sénac) et la vieille Fatima ; il évoque la guerre et
le malheur de tous ceux qui en sont victimes mais exprime aussi l’espoir de
voir un monde plus juste et plus fraternel advenir. Je ne saurais trouver
meilleure traduction du défi qui nous est posé à tous en ce jour de
recueillement.
LES PAROLES DE LA ROSE (Jean Sénac)
Le soleil c’est pour le Bon
Dieu
Et le feu c’est pour les soldats
Nous sommes tous fous,
m’sieur Jean
Dieu nous a tout donné
La main pour caresser,
Et elle sert à tuer
La grenade pour la
bouche
Et elle sert à mutiler
La terre pour tapis
Et elle sert à enterrer
Pourquoi tout ça, m’sieur
Jean ? Pourquoi ?
Dieu nous a tout donné
L’arbre pour son ombre
Et il sert aux embuscades
Le couteau pour l’orange
Et il sert pour la gorge
La nuit pour reposer
Et elle sert à veiller
Nous sommes tous fous,
m’sieur Jean
Si tu veux boire la mer
C’est la mer qui te noie
Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterrer
Mais tu dois sourire,
m’sieur Jean
Le sourire c’est pour les vieilles
Le sourire protège les
vieilles
C’est leur voile de mariée
Nous avions une odeur de
jasmin
Et maintenant regarde, m’sieur Jean
Regarde mes bras et mes
mains
La main qui sert à
caresser
Sert aujourd’hui à mendier
Nous étions rose, jasmin et lilas
Regarde ma bouche et mes
cheveux
Le sourire protège les
vieilles
C’est leur voile de mariée
Il ne me reste que mes yeux
Et c’est pour voir mon fils tué
Regarde la lune dans le ciel
C’est une branche de
palmier
Regarde là-haut cette
montagne
Regarde cet avion qui passe
Mon fils aussi l’a regardé
Le soleil pour le Bon Dieu
Et le feu pour les soldats
Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterrer
Mais plus haut il y a un
figuier
Et une eau qui ne tarit pas
Plus haut il y a un jardin
Je vais mourir, m’sieur Jean
Regarde la lune qui se fend
Je vais mourir sans mon
enfant
Mais il faut sourire m’sieur
Jean
Le sourire protège les vieilles
On va m’enrouler dans
un voile
Et me coucher seule dans la
terre
Il faut sourire m’sieur Jean
C’est mon voile de mariée
Mais si tu marches dans un
jardin
Pense à moi, m’sieur Jean
Pense à ta vieille Fatima
Elle a soigné ton enfant
Le sien elle ne l’avait plus
Quand Dieu te donne un fils
Ce n’est pas pour l’enterrer
Pense à moi et puis souris
Moi je serai dans le jardin
Mais dis qu’que chose,
m’sieur Jean
Dis qu’que chose toi qui sais lire
Dis qu’que chose pour que
les autres
N’aient pas besoin de ce voile
Pour avoir sur terre un
jardin
Chers amis, Je
vous remercie